4 juin 2023 – P. Antoine Devienne, curé

Si vous vous intéressez à la physique ou aux mathématiques, vous avez certainement déjà éprouvé cette perplexité : la géométrie euclidienne, celle par laquelle nous mesurons les carrés, les cercles, les volumes, est facilement représentable, mais la géométrie peut devenir plus abstruse quand il s’agit d’évoluer dans des dimensions supplémentaires aux trois qui caractérisent notre représentation de l’espace : la hauteur, la largeur et la profondeur. De même l’algèbre contient une foule de nombres bizarroïdes que nous ne pouvons pas nous représenter, mais simplement concevoir par abstraction. Ou encore en physique, la lisse représentation des atomes, si rassurante pour s’imaginer la représentation minimale de la matière, laisse la place à un monde difficilement représentable quand on s’enfonce plus avant dans l’infiniment petit et les curieuses propriétés de Quark et de la physique quantique. Je dirais volontiers qu’il en est de même quand on pénètre l’affirmation de l’unicité absolue de Dieu et que nous découvrons par révélation qu’elle est porteuse d’une unique existence d’amour dont la réalité implique la sainte Trinité. Ce n’est pas parce qu’une réalité est complexe, qu’elle nous heurte en mettant en lumière notre incapacité de représentation qu’elle est fausse. J’oserais même prétendre que la Trinité est logiquement acceptable par la raison puisque, sans elle, on a du mal à se figurer comment la multiplicité, présente dans la création, n’aurait pas sa source en Dieu, tout comme le fait d’exister pour la créature trouve sa source dans l’être absolu qu’est Dieu. Tenir que Dieu est l’être primordial, originaire et principe de tout autre existant d’une part, et que toute relation trouve en lui sa source d’autre part, fait rejaillir l’opportunité de la foi Trinitaire.

Cette réalité est difficilement imaginable et concevable sinon par approche allégorique ou symbolique, et nécessite de faire une abstraction, c’est-à-dire de se détacher de la volonté de la représenter de manière visible et convenir que Dieu se définit comme « amour ». L’évangéliste saint Jean donne l’assise de cette réalité de Dieu, qui n’est pas seulement une caractéristique de son être, ou comme on le dit en philosophie un attribut ou un accident, mais bien la réalité la plus profonde qui permette de le saisir. Si nous cherchons à représenter la Trinité, nous risquons de nous laisser déborder par la représentation sensible : un vieillard, Jésus et une colombe ; un trèfle à trois feuilles, le Père et le Fils sous les traits de Jésus et l’Esprit Saint en Colombe ; ou des représentations plus cérébrales : trois baies lumineuses au fond d’une abside, une mèche d’où sortent trois flammes ; ou alors trois couleurs qui se mélangeraient. Les représentations physiques pèchent toutes parce qu’elles posent l’existence des trois personnes de la Trinité comme des préalables, comme si elles existaient indépendamment l’une par rapport aux autres, où comme si leur existence serait successive l’une à l’autre, complétant la précédente. Or dans l’éternité (avant la création, et donc le temps), Dieu n’a jamais cessé d’être Père, Fils et Saint Esprit. Si le Père est don de soi, le Fils est accueil plénier de l’existence et de la puissance du Père, l’Esprit Saint est unité et rayonnement de ce don, infini et incommensurable. Comme Dieu est esprit et, en dehors de l’Incarnation, sans corps ni matière, cette concomitance est tout à fait acceptable, autant qu’un esprit qui exprimerait en une parole unique ce qu’il est totalement.

Je préfère de très loin les peines liées à nos expressions et aux limites qu’elles suscitent à la réponse trop facile et un peu lâche : « C’est un mystère », ici mystère étant compris comme étant inexplicable ou absurde. L’enjeu de la foi dans la Trinité n’est pas qu’intellectuel, il est vital car il implique notre capacité à entrer dans une relation réelle et vitale avec Dieu et en Dieu. Nous rencontrons ici une des exigences de la Trinité : elle se caractérise comme un mystère de vie et de communion. Ici mystère signifie vérité qu’on n’épuise pas en la découvrant. La Trinité vécue par le chrétien est le mode de connaissance et vie dans lequel nous sommes insérés. Avec le Fils éternel, fait homme, nous apprenons dans l’union de notre nature commune, renouvelée par le baptême, à nous tourner dans la Trinité vers le Père. Comme Temple de l’Esprit saint, nous entrons dans la pleine communion et l’action de grâce, insérés dans le mystère d’un amour donné et reçu. Pour dire les choses autrement, Dieu ne délègue pas à un ange, à un avatar ou à un prophète le chemin de la connaissance de lui-même. C’est lui-même dans la mission du Christ qui nous associe à sa propre vie et à son propre amour. Pour dire encore les choses autrement, ce processus d’insertion par le Christ et l’Esprit Saint opère en l’homme sa divinisation. Contrairement aux folles espérances qui promeuvent le remplacement de Dieu par l’homme, nous nous trouvons dans une optique de la communion et non de l’opposition. Elle engage l’homme à entrer dans une expérience vivante de la sainte Trinité, de préférence à un savoir formel à son sujet, à inscrire son existence au cœur même de celle de Dieu.

 

J’ai conscience de l’effort de raison et de cœur qu’implique de comprendre cette réalité divine. Nous pourrions être tenté de la ranger dans une étagère de nos « croyances », un peu gênante ou réservé à une élite. Elle est pourtant la source de l’amour auquel nous aspirons. C’est ce pour quoi le Christ a donné sa vie, la révélation de ce que Dieu veut pour nous.

« Dieu a tellement aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,
mais obtienne la vie éternelle. »