28 octobre 2018 – P. Antoine Devienne, curé

Dans l’histoire de Bartimée, nous pouvons lire trois histoires différentes :

L’histoire de la rencontre entre l’homme qui a annoncé que Dieu aimait l’humanité et un aveugle qui mendiait au bord de la route qui traversait Jéricho. La sobriété du récit de saint Marc accuse les nuances et les traits touchants de cette rencontre. L’avantage des évangiles écrits est qu’il laisse lire l’esprit de se figurer par lui-même les appels de Bartimée, l’attention portée par Jésus à son égard par delà la foule, et leur échange. Nous n’avons pas besoin de musique d’ambiance, ni de caméra en contre-plongée pour laisser notre esprit pénétrer entre les lignes de la Bible, la portée de la question de Jésus : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » qui exprime sa grande délicatesse. Le prodige de la guérison n’épuise pas la profonde humanité et la profonde charité de cette rencontre. 

L’histoire d’une malédiction. Les malédictions n’ont pas besoin qu’un sort funeste les porte pendant des siècles. L’histoire suffit. 1 000 ans auparavant, le roi David avait été nargué par les défenseurs de la ville qui allait devenir Jérusalem. Ils avaient en effet prétendu que les aveugles et les boiteux suffiraient pour repousser les assauts des soldats de David. David conquit la ville et pour assoir son autorité, prenant au mot ses ennemis, il congédia la garnison des aveugles et des boiteux. Ceux-ci étaient interdits de séjour. A l’époque du Christ, cette ségrégation subsista dans la défense qui leur était faite d’entrer dans le Temple de Jérusalem. Bartimée est ainsi « un exclu » du Temple, un lointain ennemi de David. L’appel de Bartimée lancé à Jésus – « Jésus, fils de David, aie pitié de moi » -, confirmé une seconde fois, ne me semble pas être qu’une reconnaissance de sa messianité. Bartimée appelle l’héritier légitime, le roi caché, qui peut défaire ce que son ancêtre avait scellé. Jésus lève l’antique malédiction et le bannissement et exerce son « pouvoir des clefs ». Comme Jésus est à Jéricho et que sa destination est immédiatement Jérusalem, il se fait accompagné par ce nouveau disciple, réintégré pleinement dans le peuple élu.

Notre histoire. Bartimée figure nos vies qui, plongées dans les tunnels du temps et de l’histoire, ne voient pas Dieu tel qu’il l’est, dans le face-à-face qu’il gratifiait à Moïse. La vision de Dieu ne nous est pas encore donnée. Elle appartient aux fins dernières. Actuellement, nous sommes des hommes et des femmes de la foi. C’est l’écoute qui est le sens spirituel de référence de notre condition actuelle. Comme Bartimée, nous pouvons attraper au vol la rumeur du passage du Seigneur, bien qu’elle soit brouillée par l’agitation de la foule. Nous trouvons dans la figure de Bartimée, le reflet de la plupart d’entre nous, qui sommes ballotés dans un monde confus. Toute la scène physique traduit dans les gestes le cheminement de la vie spirituelle. Le risque que prend Bartimée est immense. En rejetant son manteau, il se dépossède de l’unique bien qu’on n’a pas le droit d’arracher au pauvre. En s’orientant à la voix du Seigneur, il abandonne la sécurité servile et illusoire de son état de mendiant et se livre à la cruauté de la foule, qui pourrait profiter de sa cécité et de sa vulnérabilité pour le tromper ou le faire chuter. La question de Jésus  – « que veux-tu que je fasse pour toi ? »- nous fait comprendre que Bartimée n’a pas affaire à un thérapeute de foire, à un de ces guérisseurs hautains. Cette simple question souligne sobrement l’échange de personne à personne. Bartimée n’est pas un simple récipiendaire, car Jésus sollicite de lui un acte de volonté, dans lequel son être est engagé. Quant à Jésus, il se situe clairement dans la position du serviteur. Ainsi sommes-nous en présence du Christ ; à nous de choisir ensuite de le suivre.

 

Trois histoires qui n’en font qu’une. Elles enchevêtrent dans le canevas des siècles nos histoires avec celle de Bartimée et nous rendent singulièrement familiers de lui.