21 octobre 2018 – P. Antoine Devienne, curé

Je suis hésitant et indécis : après des années de lecture et de relecture, je ne parviens pas à sonder les intentions de saint Jean et de saint Jacques, et suis divisé entre deux hypothèses. La première hypothèse est de relever l’immense ambition de ces deux frères. Ils devancent les autres disciples, et s’assurent les premières places auprès du Messie, lorsqu’il sera dans sa gloire. Ils n’envisagent rien moins que de devenir ses deux assesseurs. Ils ont cette présence d’esprit de clouer aux poteaux leurs condisciples. L’interrogation de Jésus sur le fait de « boire la coupe et d’être baptisé », sous entendu dans la mort, est dans cette hypothèse de l’ambition et de l’inconséquence trop rapidement répondue par eux. Quel triste oracle alors pour eux d’entendre Jésus lui assurer qu’ils subiront un sort comparable au siens ! Les frères intrigants sont alors pris dans l’ironie d’une demande qui les entraîne de la perspective de la gloire à celle de la déchéance.

 

La seconde hypothèse repose sur la bonne foi et l’attachement des deux frères à l’égard de Jésus. S’ils souhaitent être assis à droite et à gauche du Seigneur, ce n’est pas en vertu d’une manœuvre de placement ou d’une tactique politique, mais simplement pour être prêt du Christ. La seconde hypothèse est bien plus positive que la première, c’est celle de l’amitié qui ne peut se résoudre à la séparation. La réponse rapide des deux frères est certainement inconsidérée, mais apparaît alors comme celle de deux hommes que l’amitié fait parler trop vite.

 

Il est possible que les disciples oscillent entre ces deux motivations, alternativement, selon l’humeur de leurs espoirs et celle de leur déception. La dispute déclenchée par la requête des deux frères devient l’occasion d’une clarification. Jésus n’abolit pas la notion de pouvoir, mais la redéfinit. Au modèle de la domination et de la menace latente que font peser les forts, il substitue celle du serviteur. Comme Jésus se distingue par son radicalisme, il ne craint pas d’utiliser le mot « esclave ». Cette inversion définit le mode d’exercice du pouvoir dans l’esprit chrétien. Si le pouvoir ne se vérifie plus par la capacité de destruction et de domination du maître sur l’esclave, il résulte de la libre reconnaissance et obéissance de ceux sur qui ce pouvoir s’exerce et de la reconnaissance qu’ils accordent à celui qui les conduit. Le principe fondateur de nos démocraties résulte de cette inversion. Celui du ministère ecclésiastique et de la hiérarchie ecclésiale doit appartenir à la même logique. Un curé ne domine pas ses paroissiens, il tient son autorité de la conscience qu’ont ses ouailles qu’il exerce un service et qu’au nom de ce service divin, lui est conférée la reconnaissance de sa mission. Quand des Fidèles, Clercs compris, oublient cette centralité du service, la porte est ouverte à toutes les dérives, comprises entre l’autoritarisme hiérarchique et les abus de pouvoir, ou la tentation de transformer le prêtre en serf taillable et corvéable, en le traitant sans amitié et inhumainement, ou en bouc émissaire sur lequel retomberaient tous les insatisfactions et les amertumes.