15 septembre 2019 – P. Antoine Devienne, curé

Nous lisons les trois grandes paraboles de la miséricorde de l’évangile selon saint Luc. Leur rythme ternaire nous fait comprendre leur message commun : qu’un seul manque et la joie de Dieu, représenté successivement par celle du berger, de la femme et du père, est incomplète, voire blessée. Les deux premières paraboles sont assez semblables. Elles portent sur un bien perdu, un animal et une pièce de monnaie. D’eux-mêmes, ni l’une ni l’autre ne peuvent retrouver leur chemin, la pièce parce qu’elle est un objet, le mouton parce qu’il est un animal. A chaque fois, Jésus insiste sur les efforts déployés pour retrouver ce qui a été perdu par son propriétaire, le risque presque insensé de laisser 99 brebis pour en retrouver une seule, et enfin la joie de retrouver l’élément manquant. Les grands amateurs de puzzles ou les cruciverbistes aguerris connaissant bien la frustration de voir un paysage reconstitué de 5000 pièces amputé de la dernière, ou les cases d’une super-grille de 50 sur 25 résister à la dernière définition…

Prise de conscience

Dans la dernière parabole, celui qui cherchait, le berger et la ménagère, ne bouge pas. Le père est singulièrement passif. Il consent à se laisser déposséder d’une partie de sa fortune, à laisser partir son fils et à l’attendre. Jésus insiste sur tout l’enjeu des paraboles de la miséricorde : l’initiative du chemin de retour vers le lieu de l’unité appartient maintenant au fils prodigue. Il lui faudra traverser les malheurs de sa vie de désordre, de sa chute qui l’amène à être traité moins bien qu’un porc, et cette grande prise de conscience, pour décider à se lever et d’aller chez son père. La nouvelle traduction liturgique insiste bien sur le processus intérieur qui a lieu en lui : « rentrant en lui-même ». Le fils, à cause des épreuves, devient pour la première fois de sa vie, conscient qu’il est perdu. Même si ses motifs sont plus liés à la conservation de sa vie qu’à de doux sentiments filiaux, puisqu’il espère être repris dans la domesticité familiale sous le statut de simple ouvrier, il n’en demeure pas moins qu’au lieu de tout recevoir sans grands efforts de sa part, il est amené à saisir son existence en main.

Plus loin que la honte

Le départ de l’exploitation familiale et la perte de ses biens nous révélaient un caractère immature et ingrat, peu au fait des réalités de l’existence. Dans sa misère, le fils prodigue a goûté les exigences de la vie et a réalisé sa déchéance. Il reprend le chemin de sa maison, vide de ses prétentions et de son irréalisme, et maintenant riche d’une vision renouvelée de la vie, où tout ne lui est pas dû. La grâce divine intervient d’abord dans la bauge aux cochons, quand il se met à raisonner. Il aurait pu aller plus loin dans sa chute, se laisser mourir d’inanition ou se transformer en loque humaine, enfermé dans sa honte et la crainte d’avoir déçu son père. Parfois la fierté et un sens de l’honneur mal placé conduisent à l’entêtement, alors que la voix de la conscience dans laquelle se cache Dieu inspire les raisonnements du salut. La grâce divine intervient une nouvelle fois, quand le fils prodigue se résout à se lever et à aller vers son père. Il y a tout un monde entre le raisonnement et l’action. Voilà qu’elle se glisse non plus dans la pensée mais dans les pieds. Elle soutient le courage de faire le chemin inverse. Le fils ne porte plus sur lui sa richesse, mais sa pauvreté. Il n’aura rien qu’elle à offrir à son père. Pourtant, cette pauvreté est encore tâchée de son ancienne existence et l’amène à considérer son père comme un patron, sur lequel il espère faire peser le peu de filiation qu’il estime lui rester. Son errance lui a fait oublier ce qu’est un vrai père.

Entrer dans la grâce effective

La grâce prévenante va se transformer en grâce agissante quand le père va lui couper la parole et l’étreindre. La joie des deux premières paraboles maintenant rejaillit dans son évidence. Elle s’est bâtie sur la peine d’avoir été perdu et sur l’attente du retour. Elle est empreinte d’une douceur amère, qui est le prix de la rédemption. On sent le gâchis pour le fils d’avoir négligé un amour toujours présent et l’amertume de comprendre son ingratitude. Qu’il faut donc pour les hommes parfois emprunter des chemins tortueux pour rencontrer au moment le moins probable la grâce de Dieu.

 

Conclusion

Nous nous reconnaissons surement dans ce jeune homme. Malgré son attitude critiquable, il nous reflète l’enjeu de notre vie. Nous pouvons rester dans la bauge aux porcs, estimer que l’amour de Dieu est moins grand que notre fierté ou notre déchéance, ou au contraire qu’étant père, elle sera toujours latente. Si nous ne nous levons pas, cet amour sera toujours loin de nous. Nous ne sommes ni une drachme, ni une brebis, mais des hommes. Il est un chemin que seuls nous pouvons prendre. Sans nous, Dieu ne peut pas nous faire revenir à lui. Amen