15 août 2021 – P. Antoine Devienne, curé

LA fête de l’Assomption guide nos regards et nos pensées vers la contemplation de la Résurrection. L’Assomption de Marie est un fruit de la Résurrection de son Fils, et pour en saisir les implications de la première affirmation de foi, il me semble important de s’arrêter sur la seconde.

La Résurrection est un fait difficile à saisir puisqu’il ne s’agit ni de culture, ni de psychologie, quand les défunts sont réputés survivre dans la mémoire des vivants, ni de réanimation, quand le coma a été confondu avec le décès, ni de migration d’une âme dans une enveloppe matérielle, quand la réincarnation tient lieu de substitut à la vie éternelle. La tentation est forte d’opposer le sens de la nature au fait de la Résurrection, en arguant qu’elle est impossible naturellement. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord : la résurrection ne tire pas sa puissance des forces de la nature, seraient-elles le fruit de la création divine. Elle est un nouveau rapport ou une nouvelle relation de la création à l’égard de son créateur.

 La résurrection est la translation de la création présente à la Nouvelle création. La création présente est imparfaite, au sens littéral du terme, c’est-à-dire qu’elle est inachevée, en transition, passagère et close sur elle-même. La nouvelle création est précisément l’achèvement de cette création, qui n’est plus dans un rapport complexe et souvent éloigné de Dieu, mais en parfaite adéquation avec lui : « Dieu sera tout en tous », dit à ce sujet saint Paul dans la première épitre aux Corinthiens. Dans l’ordre actuel cette translation entre cette création où nous sommes nés et celle que nous espérons a été réalisée uniquement dans la Résurrection du Christ Jésus. Il est le passage unique entre la vie passagère et celle à venir, y compris pour les hommes qui n’ont pas la foi en lui. Pour dire les choses sous un autre angle, Jésus n’est pas un veinard qui aurait accédé plus facilement au paradis que les autres. Il est le médiateur et le « Premier-né de toute créature », humaine ou matérielle. Au sens strict du terme rien n’est entré dans la création nouvelle, sauf le Christ. Il est le pivot pour tout le cosmos qui attend « la révélation des fils des dieux » (Rm 8).

Jésus se révèle comme le chemin qui mène au Père, dont on ne peut absolument pas se passer. En ce sens, il n’est pas seulement un « ressuscité », il est la Résurrection, en qui toute chose est appelée à être recréée et portée à son achèvement. Y compris la sainte Vierge…

Ce qui a progressivement fasciné les premières générations chrétiennes est l’intrication qui unit Marie à Jésus. La sobriété des évangélistes ne nous dispense pas l’implication de Marie à l’égard du projet divin de l’Incarnation et sa présence décisive au pied de la croix. L’agacement de certains protestants à l’égard de la dévotion mariale des Catholiques et des Orthodoxes les empêche souvent de pénétrer ce refrain léger et pénétrant qu’on trouve en saint Luc : « Marie conservait ces événements et les méditaient dans son cœur ». A force de vouloir éviter d’idolâtrer Marie, à laquelle on prête d’être la continuité chrétienne des anciennes déesses de la fécondité, on en vient à faire passer à la trappe une dimension extrêmement importante de la vie et de la mission du Christ, à savoir le lien particulier qu’il a avec sa mère. Ce lien ne peut pas résumer au lien physique de la maternité, ni à l’affection filial du fils pour sa mère. Le Nouveau Testament montre de manières très diverses, très touchante quand Matie est au pied de la Croix, rencontrant la réalisation de la prophétie de Syméon, très mystérieuse et allégorique, quand elle est reconnue dans les traits de la femme de l’Apocalypse, très ecclésiale quand il nous rappelle qu’elle priait avec les premiers Apôtres. Ce lien à Jésus a très vite contribué à distinguer la sainteté de Marie de celles des autres saints de l’Eglise, qui avaient partagé pour la plupart le martyre avec leur Seigneur. Ce lien a milité en faveur d’une association de la Vierge Marie à l’œuvre rédemptrice et médiatrice de son Fils. Des prières d’intercessions lui ont été adressées en tant qu’elle est la mère de l’unique Ressuscité d’entre les Morts. Généralement c’étaient plutôt les Martyrs qui recevaient principalement la vénération du peuple chrétien, comme en attestent les graffiti qui ornent l’emplacement de la tombe de saint Pierre, dans les premiers siècles de notre ère. Sauf Marie, objet d’une dévotion si particulière et si antique.

Ce lien associe l’action de Marie à celle de son divin Fils, et la foi de l’Eglise a perçu une réciproque dans la participation de Marie à la Résurrection de son Fils. Les saints, entrés dans leur âme dans la gloire de Dieu, sont dans l’attente de la résurrection, comme nous d’ailleurs. L’affirmation d’une participation de Marie à la Résurrection dès le moment de son dernier soupir, appelé « Dormition » en Orient et « Assomption » en Occident, revient à accepter un « régime » particulier pour la Vierge Marie. L’Eglise catholique a employé toutes les ressources de sa tradition, tout le poids de l’autorité confiée par le Christ aux Apôtres et à leurs successeurs, toute l’inspiration octroyée par l’Esprit Saint, pour par la mission spécifique de Pierre, alors le pape Pie XII, pour faire d’une tradition si ancrée et conforme à la Révélation chrétienne une vérité de foi.

L’Assomption de Marie est une sorte de confirmation : La Résurrection de Notre Seigneur annonce la destination de la vie humaine, d’entrer dans la vie divine pleinement ; l’Assomption renforce la confiance de l’humanité à pouvoir y participer. Qu’on ne nous dise pas que Marie est si exceptionnelle ou détachée de notre condition pour nous convaincre que la Résurrection n’est pas la promesse que nous avons reçue. Tout le sens de l’Incarnation chrétienne est de reconnaître la proximité de celui qui s’est fait proche de moi ; ainsi aussi de la proximité de Marie.

Puisse votre Assomption, notre Mère et notre Sœur, nous désigner le Ciel et la nouvelle Création d’où vous dispensez vos dons.