15 août 2020 – P. Antoine Devienne, curé

Les contes de fées finissaient par la traditionnelle conclusion : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… » quand le Prince charmant emportait sur son fringant destrier sa belle blonde. Tous avaient cru qu’elle était une modeste bergère et tous découvraient alors qu’elle était en réalité une princesse cachée. Nous imaginions une vie de bonheur et de félicité pour eux deux comme si les aventures haletantes qu’ils avaient traversées méritaient une telle fin. La gentille bergère avait essuyé les brimades d’une marâtre insupportable ou les sarcasmes d’une sœur jalouse et mesquine. Ces garces consommaient les fruits amers de leur méchanceté et se voyaient punies d’une manière ou d’une autre.

Nous ne lisons pas les contes d’Andersen, de Perrault ou des frères Grimm. Nous lisons la Bible. L’Ascension du Christ et l’Assomption de la Vierge n’ont pas de point commun avec l’entrée triomphale du jeune roi et de la gentille Bergère dans le château gothique d’une riante contrée bavaroise. Les portes du ciel ne se referment pas sur la Vierge Marie, cachant une vie que nous espérons « in hac lacrimarum valle », laissant suggérer à nos imaginations les attentes d’un monde merveilleux et encore inconnu. Par l’institution de l’Eucharistie et le don de l’Esprit Saint, le Christ continue de partager le sort des siens, de ces « petits dont les anges sont devant Dieu ». Certes Il est dans la gloire de son Père, mais reste toujours associé à son Corps mystique dont nous sommes les membres. A saint Paul qui s’apprêtait à persécuter les Chrétiens de Damas, Jésus apparaît pour lui révéler que c’est lui qu’il persécute. La crucifixion de Jésus est un événement qui marque l’histoire, et une réalité qui ne cesse de l’habiter tant qu’il y aura un homme en butte avec le mal. Les temps qui suivent l’Ascension ne sont pas un épilogue, mais la prolongation de sa Pâque au travers des siècles. Jésus ne parle pas de l’avenir, mais de ces « temps qui sont les derniers », dont il ne désolidarise pas.

La vision de la femme parturiente du chapitre 12 ne décrit pas un événement passé ou à venir. C’est l’image féminine de l’Eglise menacée par les forces du mal, alors qu’elle porte en elle la puissance de vie à laquelle elle va donner le jour. Les historiens peuvent reconnaître dans le dragon une représentation symbolique du pouvoir romain dont les sept têtes correspondraient aux 7 collines romaines, et les 10 cornes à une succession d’empereurs. Cette identification est certes intéressante, mais mérite d’être extrapolée à toutes les époques et s’applique encore aujourd’hui. L’Eglise est menacée par un dragon multiforme, qui souille ou brûle ses églises, emprisonne ou égorge ses prêtres, chasse les Chrétiens de leurs terres ancestrales, insémine l’esprit du temps dans le découragement et l’oubli de la valeur de la vie humaine, qui insuffle la haine, la convoitise et le mépris, qui nous convainc que nous sommes des dieux au lieu de reconnaître que nous sommes des créatures, qui inspire à ceux qui devraient la servir les comportements les plus abjectes dans les abus qu’ils ont perpétrés. Cette femme est souvent confondue avec la Vierge Marie. Elle met au monde le Rédempteur, doit fuir en Egypte comme la femme de l’Apocalypse fuit au désert, pour échapper à la folie meurtrière d’Hérode. Elle est celle qui reçoit au pied de la Croix le corps de son Fils comme pour le préparer à la nouvelle naissance de la Résurrection. Cette confusion entre le destin particulier de la Vierge Marie et la condition de l’Eglise est très pertinente. Si elle participe déjà à la Résurrection de son Fils par cette grâce de la préservation des affres de la mort, elle participe aussi à sa médiation continue au sort des hommes.

Quand nous prions la Vierge Marie, nous n’adressons pas une complainte à une princesse enfermée dans sa tour. Elle demeure dans l’office perpétuel de son Fils. Elle accompagne le peuple chrétien dans sa sollicitude maternelle, et partage nos relèvements comme une sœur, la première des saintes de Dieu. Le poème du « Magnificat » qu’elle prononce dans l’évangile selon saint Luc, après sa rencontre avec Elisabeth décrit ce relèvement que l’Humble espère et la contradiction à laquelle se heurte l’Orgueilleux. Sainte Marie s’unit à la Pâque qui, dans le Christ, habite maintenant l’histoire humaine.

Cette fête d’aujourd’hui nous amène à renoncer à une certaine candeur, qui se nourrit de la rêverie des « lendemains qui chantent ». Les images de l’Apocalypse et la conscience de la pérennité de la Pâque nous confrontent à reconnaître dans chaque génération ce combat du bien contre le mal. Le monde connaît effectivement et indubitablement un progrès technique, mais les enjeux moraux et spirituels ne cessent pas. Les tentations de l’instrumentalisation de l’être humain que nous connaissons aujourd’hui sont une autre forme que celles qui ont marqué nos ancêtres. Le Chrétien ne doit être ni dupe sur le passé, ni naïf ou désabusé sur l’avenir.

La fête d’aujourd’hui n’est pas le récit d’une fin de conte de fées. Nous ne sommes plus des enfants. Elle est la prise de conscience que la vie, la mort et la résurrection du Christ sont des réalités permanentes qui traversent nos existences et que Marie, notre Reine, en est l’humble Servante.