14 novembre 2021 – P. Antoine Devienne, curé

L’Apocalypse et les soubresauts de la fin des temps contiennent deux mouvements aussi décisifs l’un que l’autre. Le premier mouvement est celui de l’épreuve et du cataclysme. Le ciel et ses lumières s’obscurcissent et le monde entre dans les douleurs d’un enfantement. Les hommes perdent le contrôle de la nature qui entraine dans ses convulsions le désordre et le chaos. Les dérèglements que nous redoutons du climat semblent porter aujourd’hui les semences d’un désordre social et plongent les esprits dans la crainte. L’autre mouvement est celui d’une libération, comme le corps d’une femme délivrée du travail de l’enfantement et heureuse de générer une nouvelle vie à la lumière du jour. Nous éprouvons souvent simultanément ces deux mouvements, remplis de peur et d’espérance.

 

J’aimerais caractériser les lectures de ce jour par plusieurs angles d’approche : la lutte, la fin de l’éphémère, le grand divorce, le face-à-face.

 

La lutte : l’histoire des peuples, celle que nous apprenons sur le banc des écoles ou dans nos lectures ne rend pas compte d’une lutte que le récit des guerres ou des conflits ne peuvent pas manifester. La « grande histoire » dissimule le combat spirituel dont la passion du Christ est le révélateur. Il ne s’agit pas de champs de bataille, ni de conquêtes, mais de la confrontation entre le Christ et les forces du mal. Sa frontière ne se trace pas sur des territoires visibles, mais à l’intérieur de chaque âme humaine. Saint Ignace de LOYALA le décrit fort bien dans l’image des deux étendards, où deux camps se font face, celui de Saran et de ses anges et celui du Christ et de ses anges. Le premier est un tyran sans compassion alors que l’autre est le capitaine inspirant qui rassérène ses soldats et les encourage. L’enjeu est le salut de chaque âme. C’est un combat mené entre la vie et la mort, dont personne ne peut se soustraire, et qui inverse notre perception de notre liberté : nous en sommes nous-mêmes l’enjeu. Les apocalypses concentrent dans un point du temps, le dernier, ce que la durée de nos jours contient.

La fin de l’éphémère : contrairement au premier grand cataclysme, le Déluge, qui prenait l’eau comme annihilation de la création, comme un retour en arrière vers les premiers jours du monde, les apocalypses décrivent l’action du feu. Cet élément destructeur est aussi celui de la purification. Le feu débarrasse les métaux de leurs scories, et Dieu affine les âmes de la même manière. L’expérience des épreuves a été pour Israël l’occasion de ce processus (10 C’est toi, Dieu, qui nous as éprouvés, affinés comme on affine un métal ;Ps 65). Jésus lui-même utilise cette image pour parler de son action : « 49 Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! (Lc 12,49) ». Nous pouvons y reconnaître la fin de ce qui est caduque et voué à la disparition. Le feu brule la balle et les parties passagères de nos existences.

Le grand divorce : cette expression n’est pas de moi, mais de C.S. LEWIS et est le titre d’un de ses écrits spirituels. Il s’agit du grand divorce entre ce qui est passager, mondain, voué à la disparition de nos existences et ce qui est promis à la vie éternelle. C’est une ligne de démarcation être la fragilité et le roc, entre l’inconstance de nos actes et ce qui est tendu vers Dieu. Il nous amène à estimer nos vies, non pas à partir de nos préoccupations du moment, mais à partir de notre vocation profonde à la vie en Dieu. Cette séparation est difficile et elle implique un arrachement à notre inclination à nous attacher au temps présent. Nous pouvons avoir nos yeux rivés sur le ciel et la terre présents, ils ne

constituent pas pour autant notre horizon ultime. La nouvelle naissance suppose un arrachement et un enfantement qui nous fait passer de ce monde à Dieu.

 

Le face-à-face : c’est la finalité des apocalypses. La culture populaire et le pessimisme nous convainquent de la réalité des catastrophes. La culture chrétienne nous met en face à Dieu. C’est le moment où le voile qui nous sépare de Dieu se déchire, comme le voile du Tempe de Jérusalem. Depuis Adam, l’homme a tendance à se cacher derrière un buisson pour ne pas rencontrer le regard de Dieu. Nous sommes appelés à le connaître non plus par la foi, mais par la vision. Ce regard que nous anticipons comme insoutenable est celui de la vie et de l’amour de l’Eternel. Celui qui met à nu sans indécence, celui qui scrute les profondeurs de ce qui est en l’homme, le seul regard qui nous révèle à nous-mêmes, quand Dieu est tout en tous. Nous l’anticipons quand nous croisons dans les sacrements et la prière le regard du Christ, en particulier dans le sacrement de pénitence et de réconciliation.

 

Un jour, nous verrons les choses en pleine clarté, et nous accoucherons de nous-mêmes dans la vie éternelle. Ce jour grand et redoutable nous confrontera à la vérité de Dieu et à la vérité de nos vies. Je reprendrai en conclusion les mots de Notre Seigneur : « N’ayez pas peur »