10 novembre 2019 – P. Antoine Devienne, curé

Le Bon et le Méchant

Imaginez un western spaghetti, que Sergio LEONE aurait pu faire. Sous un soleil de plomb, avec une musique stridente d’Ennio MORICONE, le vent balayant les balles d’épines dans une plaine aride (du sud de l’Espagne), le méchant s’apprête à abattre une victime innocente. Ses petits fendus sont empruntés à la « Brute », sa barbe de trois jours à « l’Indien », et caressant sa montre, il se tourne vers sa victime, -disons un ancien chasseur de primes converti- qui a embrassé la foi du Christ et remisé ses revolvers au fond de sa grange. Après avoir abattu sa famille (cf. « pour quelques dollars de plus », le meilleur de Sergio LEONE), il se tourne vers le « Gentil » et lui déclare le sourire sadique s’esquissant à la commissure des lèvres : « Tu as de la chance. Dans un instant tu ressusciteras ». Ce pourrait aussi être Henri FONDA dans il enfonce l’harmonica dans la bouche de Charles BRONSON, son frère juché sur ses épaules avec la corde au cou, en lui disant : « Joue pour ton frère. Cela lui fera plaisir », sachant qu’il ne tiendra plus longtemps et que fléchissant sous le poids, il sera l’instrument physique et involontaire de sa mort. Le sarcasme des méchants des Western ressemblent au sacrilège des séides grecs de la guerre des Maccabées. Il ne s’agit pas seulement d’extirper une croyance communautariste, mais de détruire l’espérance et la foi en Dieu. Le procédé de massacrer toute une famille un membre à la fois est une lente torture qui veut saper la foi en Dieu. « Où est-il ton Dieu ? », semble dire le persécuteur, à mesure qu’il passe par le fil de l’épée chacun des fils. Ils se moquent des hommes et de Dieu. Si on y réfléchit bien, il compte plus sur le néant auquel il s’est voué qu’à la force qui lui a soumis toute cette famille de veuve et d’orphelins (on ne parle pas du père…). Quelle importance Pour Antiochos de jouir du massacre puisqu’il n’aura pas de compte à rendre.

Le quatrième frère, avant de mourir, proclame un étrange oracle :

« « Mieux vaut mourir par la main des hommes,
quand on attend la résurrection promise par Dieu,
tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. » »  

Remarquez qu’il ne dit pas qu’il ne ressuscitera pas, il affirme qu’il ne connaîtra pas la résurrection pour la vie. La foi chrétienne affirme la résurrection pour TOUS les hommes. Si le propos du 4ème frère est bien celui-là, alors il laisse la pire malédiction sur Antiochos, qui pour lui-même est une bénédiction. L’infâme trouve dans la mort l’absolution qu’octroie le néant et l’oubli que son reliquat de conscience lui dénie. Les bourreaux et les tortionnaires vivent avec des fantômes que le surcroit de cruauté essaie d’exorciser. L’issue de la mort constitue le sédatif qui les soulage des souvenirs et des ombres du passé. Ressusciter est alors une malédiction où l’on ne peut plus s’échapper dans une fuite en avant dans la violence et la cruauté, mais l’homme se retrouve face à lui-même irrémédiablement, puisqu’il a tourné le dos à Dieu.

Résurrection de la chair

Ce qu’il y a de terrible dans l’oracle du quatrième fils est qu’il parle de résurrection. Ce terme qui signifie « se relever » inclut en lui la condition matérielle, charnelle, et corporelle. Si le texte des Maccabées parlait d’une rare survivance subtile de l’âme, on résoudrait d’un coup de cuiller à pot la question morale de l’existence. Les angoisses des remords, les peines des absences, les accusations induites des iniquités passeraient dans la grande chasse d’eau de la mort, qu’on croit à la vie éternelle ou non. La mort serait comme l’herbe d’oubli des Lotophages de l’Odyssée. Mais la résurrection, elle, affirme, certes la transformation de l’homme, mais avant tout la subsistance de son être physique. Les odeurs, les sons, les perceptions des sens, comme les sensations physiques liées au sentiment, les mouvements conjoints du corps et de l’esprit subsistent dans la réintégration de l’unité de l’homme.

Dieu ne ressuscite pas les mauvais par sadisme, mais parce qu’il est conforme à l’achèvement d’une création marquée par le mystère d’iniquité et la mort qu’il y mette un terme et donne le point final du don plénier de la vie. Il ne veut pas se conformer au suicide et à la néantisation auxquels le « Méchant » aspire. En quelque sorte, il donne vie et amour malgré le refus de l’homme, et la permanence de ce don nous enserre dans tous les tréfonds de notre être. L’orgueil et l’endurcissement du cœur pervertissent ce don parfait et plénier en torture car il écartèle l’homme entre son péché et la grâce.

En ce monde, ce jugement dont je souligne la dimension physique a un instrument salutaire qui assume précisément cette dimension : le sacrement de réconciliation. Nous choisissons de substituer à la condamnation de notre mémoire ou de notre oubli, le jugement de Dieu, qui lui est porteur de vie.

Pas que des tortionnaires…

Je vais aller un peu plus loin dans mon sermon. Comme je suis parti des Western Spaghetti en passant par Antiochos Epiphane IV, vous estimerez peut-être que ce profil de méchant ne vous correspond pas et que, sans doute, vous n’avez jamais vidé votre 6-coups dans un couffin avec un sourire sardonique aux lèvres. Cependant l’évangile d’aujourd’hui ne nous épargne pas plus que le 4ème fils. En effet, même s’il est raisonnable de graduer les péchés dans leur matérialité (une insulte n’a pas la même portée qu’un meurtre ; l’adultère n’est pas aussi destructeur qu’un acte de concupiscence sexuel), l’enseignement du Christ, notamment dans le discours sur la montagne, rappelle que des raisonnements ou des dispositions intérieures (l’intérieur de la coupe) produisent des effets spirituels équivalents aux actes. La loi civile et pénale, ainsi que le respect de la conscience s’arrêtent à ses portes et ne peuvent pas s’y immiscer. Pourtant il demeure qu’on puisse arriver à un résultat finalement comparable aux conséquences des actes  du « Méchant ».

Les Sadducéens veulent absolument, sur fond d’incompatibilité entre résurrection et polyandrie, détestable promotion féministe et matriarcale, par laquelle une femme règne sur plusieurs maris,  prouver l’inconséquence de cette résurrection. Jésus leur concède que le régime de la vie éternelle, n’inclut  pas un exercice de l’acte sexuel comparable à celui que nous connaissons, quand il relie union et procréation, dans un écoulement des générations. Pourtant il souligne combien il est insupportable de chercher dans un cas d’école, dans une mesquinerie indûment inspirée de la Bible (cf. Tobie et Sara), l’épine qui fera exploser le ballon de baudruche. La résurrection est un trop grand mystère, que toute la Bible atteste à longueur de pages et de vies humaines, pour le voir crever par quelques esprits railleurs. On se croirait sur un plateau de télévision…

La pointe ici est double : on peut se réfugier dans l’orgueil, à commencer intellectuel, sans être un tortionnaire. On en arrive au même résultat et la résurrection peut constituer un déni de ce en quoi on a mis sa fierté. L’autre pointe est simplement une question d’usage de l’intelligence. Les constructions de pensée n’ont d’intérêt que si elles servent à saisir la réalité, et non pas à la plier à leur propre satisfaction. L’intelligence est ancillaire.

 

Conclusion

J’ai peut-être infusé en vous une certaine crainte. En effet, comme nous nous référons à un mode de pensée qui accepte comme révélée la résurrection, vous aviez peut-être songé qu’elle était comme une deuxième chance, comme une seconde partie que l’on fait sur un jeu électronique, où tous les compteurs sont remis à 0. On ne joue pas avec la Vie et avec Dieu comme sur un ordinateur. Mon souci est de vous y introduire, en évitant les ravages d’une âme angoissée et scrupuleuse lorsqu’elle prend conscience des implications de la résurrection, et en cultivant chez vous l’étonnement de voir dans notre corps l’œuvre admirable du Créateur, qui n’a pas dédaigné de le faire sien, et sa remarquable vocation.